Retour

Cosi-Sancta, un petit mal pour un grand bien

Voltaire

BTN Ajouter à une liste
COSI-SANCTA UN PETIT MAL POUR UN GRAND BIEN NOUVELLE AFRICAINE C’est une maxime faussement établie qu’il n’est pas permis de faire un petit mal dont un plus grand bien pourrait résulter. Saint Augustin a été entièrement de cet avis, comme il est aisé de le voir dans le récit de cette petite aventure arrivée dans son diocèse, sous le proconsulat de Septimus Acindynus, et rapportée dans le livre de la Cité de Dieu[1]. Il y avait à Hippone un vieux curé, grand inventeur de confréries, confesseur de toutes les jeunes filles du quartier, et qui passait pour un homme inspiré de Dieu parce qu’il se mêlait de dire la bonne aventure, métier dont il se tirait assez passablement. On lui amena un jour une jeune fille nommée Cosi-Sancta : c’était la plus belle personne de la province. Elle avait un père et une mère jansénistes, qui l’avaient élevée dans les principes de la vertu la plus rigide . et de tous les amants quelle avait eus, aucun n’avait pu seulement lui causer, dans ses oraisons, un moment de distraction. Elle était accordée depuis quelques jours à un petit vieillard ratatiné, nommé Capito, conseiller au présidial d’Hippone. C’était un petit homme bourru et chagrin, qui ne manquait pas d’esprit, mais qui était pincé dans la conversation, ricaneur, et assez mauvais plaisant . jaloux d’ailleurs comme un Vénitien, et qui pour rien au monde ne se serait accommodé d’être l’ami des galants de sa femme. La jeune créature faisait tout ce qu’elle pouvait pour l’aimer, parce qu’il devait être son mari . elle y allait de la meilleure foi du monde, et cependant n’y réussissait guère. Elle alla consulter son curé, pour savoir si son mariage serait heureux. Le bon homme lui dit d’un ton de prophète : « Ma fille, ta vertu causera bien des malheurs . mais tu seras un jour canonisée pour avoir fait trois infidélités à ton mari. » Cet oracle étonna et embarrassa cruellement l’innocence de cette belle fille. Elle pleura . elle en demanda l’explication, croyant que ces paroles cachaient quelque sens mystique . mais toute l’explication qu’on lui donna fut que les trois fois ne devaient point s’entendre de trois rendez-vous avec le même amant, mais de trois aventures différentes. Alors Cosi-Sancta jeta les hauts cris . elle dit même quelques injures au curé, et jura qu’elle ne serait jamais canonisée. Elle le fut pourtant, comme vous l’allez voir. Elle se maria bientôt après : la noce fut très-galante . elle soutint assez bien tous les mauvais discours qu’elle eut à essuyer, toutes les équivoques fades, toutes les grossièretés assez mal enveloppées dont on embarrasse ordinairement la pudeur des jeunes mariées[2]. Elle dansa de fort bonne grâce avec quelques jeunes gens fort bien faits et très-jolis, à

Nombre de pages : 8

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Literatura

De la même thématique Literatura

Du même auteur Voltaire