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Mademoiselle Séraphine

Georges Ista

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Georges Ista, écrivain (1874 – 1939). Mademoiselle SéraphineDepuis trente ans,MlleSéraphine est caissière à la Grande Confiserie Parisienne, le plus beau magasin de la place d’Armes. Trois patrons se sont succédés dans l’établissement. La boutique s’est transformée. Les fillettes qui venaient autrefois acheter deux sous de berlingots sont devenues des mamans. Les enfants qu’elles amenèrent à leur tour sont maintenant des jeunes filles, de grands gaillards déjà moustachus. Tout a changé, évolué. Seule,MlleSéraphine est restée pareille, menue et silencieuse, à peine un peu plus jaunie, un peu plus ridée, dans son éternelle robe noire qui semble être toujours la même et ne pas vieillir plus qu’elle.Chaque patron, en s’en allant, a dit à son successeur: «Surtout, gardez bienMlleSéraphine, c’est un trésor, cette fille-là.» Et il manquerait quelque chose à la clientèle, aux belles dames qui viennent grignoter des gâteaux, entre quatre et six heures, si l’on ne voyait plus, derrière le comptoir, le sourire si perpétuellement poli de ses lèvres minces et exsangues, sa calme activité de bonne employée toujours penchée sur ses livres, indifférente aux mille potins jacassés autour d’elle.Au moment des repas, ou quand la boutique est déserte,MlleSéraphine ne se mêle pas aux babillagesdes demoiselles de magasin, toujours occupées à se dénigrer mutuellement, à médire des clientes et de leurs toilettes. Sa voix douce n’intervient que pour apaiser les querelles,réconcilier deux amies brouillées, faire entendre de sages appels à la modération, quand les commérages deviennent trop agressifs ou trop dangereux: «Chut! mesdemoiselles! Ce n’est pas gentil, ce que vous faites-là… Sans compter qu’on peut vous entendre…»Aussi, toutes sont d’accord pour reconnaître les qualités exceptionnelles de la caissière, sa douceur imperturbable et son esprit de bonne camaraderie. On la consulte volontiers dans les cas difficiles, à propos des amourettes ébauchées aux jours de sortie. Elle donne de sages conseils, honnêtes et prudents, et l’on sait par expérience qu’elle ne commettra pas ensuite la moindre indiscrétion.Quant au curé de la paroisse, il déclare queMlleSéraphine est une sainte. Car elle est pieuse, très pieuse, allant chaque jour à la première messe, se levant à la chandelle, par les frissonnantes nuits d’hiver, pour gagner l’église de son pas silencieux et paisible, dans l’obscurité lourde et angoissante des rues encore endormies. Au retour, c’est elle qui éveille ses camarades, frappant dix fois s’il le faut à la porte des paresseuses qui s’attardent dans la tiédeur des draps, mettant une patience inlassable à leur éviter d’être grondées pour une entrée tardive au magasin.C’est un modèle… c’est un trésor… c’est une sainte… Tout le monde, à l’envi, chante ses louanges. Elle ne paraît pas s’en apercevoir, toujours effacée, mo

Nombre de pages : 7

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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