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Ar Mor

Anatole Le Braz

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La Revue de Paris, mars 1902Anatole Le BrazAr MôrCe soir-là, quand les chariots de la tribu s’arrêtèrent pour leur halte accoutumée de la nuit, l’odeur singulière qui, depuis plusieurs jours déjà, accueillait la marche des Kymris migrateurs, dans leur exode vers les terres du couchant, se fit tout à coup si forte et si pénétrante que les buffles eux-mêmes, au lieu de se répandre dans les herbages, sitôt dételés, restèrent, les naseaux tendus, à humer l’air avec une sorte d’inquiétude. On eût dit que, là-bas, derrière les collines âpres et tourmentées qui barraient l’horizon, vers l’ouest, d’immenses cassolettes invisibles fumaient, imprégnant l’espace d’un arôme irritant et subtil, tel que les patriarches de la horde ne se souvenaient point d’en avoir respiré de semblable, au cours de leurs étapes les plus heureuses à travers les plaines les plus embaumées.Jamais forêts en travail de printemps, jamais vallées foisonnantes ni steppes en fleurs n’avaient distillé de suc aussi merveilleux. Cela se buvait dans Je vent comme un philtre et se déposait sur les lèvres comme une manne imperceptible, d’une indéfinissable saveur... Et les hommes s’étonnaient de se sentir aux veines un sang plus frais et plus fougueux, tandis que, dans les yeux avivés des femmes, transparaissait un ciel nouveau où des ardeurs insolites montaient.Sans cesse, des nuages aux formes d’énigme surgissaient de la profondeur éclairée de l’occident, glissaient au ras du sol, d’une fuite équivoque, puis s’éloignaient comme la figure voilée du destin. Les devins, questionnés, répondirent :– Ce sont peut-être les ombres projetées par des dieux qui se dérobent et dont nous ne savons encore interpréter les signes ni les mouvements.Cet aveu d’ignorance accrut la perplexité des Kymris.Tout, d’ailleurs, dans cette contrée, leur était un sujet d’incertitude et de trouble. Vainement ils essayaient de lui découvrir quelque trait de parenté avec les patries successives où leur fantaisie de pèlerins s’était passagèrement complu. La terre y était pauvre et nue, trouée, par places, de grandes vertèbres de granit, très vieille et très vénérable d’aspect. Pour toute végétation, des mousses, des ciguës amères, des arbustes nains, hérissés de dards et balançant des thyrses dorés . çà et là des champs entiers de minuscules plantes aux teintes de pourpre pâle, qui rampaient. Les vastes chênaies qu’on avait traversées les jours précédents restaient massées aux abords de cet étrange pays sans en oser franchir la lisière, comme retenues par une terreur sacrée. Seuls, quelques ormes noueux se montraient au flanc des collines, en bosquets épars encore y semblaient-ils enchaînés sans leur assentiment, ainsi que des captifs, et tourmentés d’une sauvage impatience de s’enfuir, tant leurs troncs inclinés faisaient effort pour s’arracher du sol et tant leurs branches, uniformément rebroussées dans la direction de l’est, s’é

Number of pages : 16

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Editor : Audiocité

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